Biennale de Lyon : on vit une époque formidable!

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Commerce Extérieur Mondial Sentimental,
sculptures en marbre d’Andra Ursuta

La vie moderne… Il y a de quoi dire (rire ?) et les plasticiens venus à Lyon pour la Biennale ont eu la logorrhée facile. Beaucoup d’entre eux auraient dû prendre la plume car le discours  visuel brouillait la rétine. Je veux dire que lorsqu’on veut absolument concevoir une installation pour délivrer un message subliminal on risque le ratage. Allez donc voir la série de bâillements que nous impose He Xiangyu. Comme au théâtre, représenter la lassitude ou l’extrême fatigue est un pari risqué. Le visiteur bâille à son tour… d’ennui.
De son côté Camille Blatrix fait parler un distributeur de billets. Horripilant mais drôle au moins. Lai Chi-Sheng choisit de nous offrir « L’image inutile d’une réalité qui fait perdre du temps ». Il s’agit de ce petit signal lancinant qui indique sur nos ordis qu’un contenu mulltimedia est en cours de chargement. Vous voyez ce que je veux dire? Alors si, hélas, vous n’avez pas la possibilité de vous rendre à Lyon pour ces expositions passionnantes, allumez le portable et vous aurez au moins une oeuvre en direct !
Les Oxymores de la Raison signées Kader Attia peuvent revendiquer le mérite de ne pas tricher. Il s’agit bien de mots, d’un discours qui pourrait prendre la forme d’un traité ou d’un pamphlet. En fait, 18 vidéos installées dans une sorte d’open space pour décliner les différentes façons d’appréhender la pathologie psychiatrique selon que l’on se trouve en occident ou dans des sociétés traditionnelles du bout du monde.

Alors où porter l’œil pour le plaisir de contempler ou de découvrir?  Eh bien, rendez vous sur les petits balcons du dernier étage à La Sucrière. Pour entrer dans le jardin extraordinaire de Michel Blazy qui fait pousser des fleurs dans des paires de baskets ou de vieux ordinateurs. Ou bien arrêtez-vous devant la cabane en marbre d’Andreas Lolis. Une Permanent Résidence fascinante. On aimerait toucher pour être certain qu’il ne s’agit pas de carton tant l’illusion est réussie.

IMG_0286Les fleurs aux baskets de Michel Blazy

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Permanent Residence d’Andreas Lolis

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L’oreille de Camille Henrot, installation interactive et poétique

Avant de partir, tendre l’oreille ou plutôt s’approcher de celle, massive et dorée, de Camille Henrot. Au centre d’une pièce tapissée d’aquarelles trône une sculpture ayant la forme d’une oreille reliée à un cordon téléphonique entortillé et à un énorme clavier. En appuyant sur l’un des boutons, vous choisissez une langue et un service. Selon que vous avez du chagrin, des insomnies, une angoisse. Ça vous évoque quelque chose ? Eh oui, la vie moderne dans toute sa splendeur. Décidément, je vous le dis, on vit une époque formidable !

Anish Kapoor, la rencontre interdite au couvent du Corbusier

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Le rendez-vous était osé. Anish Kapoor s’est imprégré de l’atmosphère très particulière d’un couvent chef d’oeuvre architectural, avant de s’approprier les espaces, entamant un dialogue inattendu avec les lignes et les trous de lumière de Le Corbusier. Plus rien ne se perçoit de la même façon et pourtant l’essentiel est préservé. Rencontre inédite, voire interdite, tant certaines œuvres ruissellent de sensualité et bousculent la paix, le silence des lieux. Pourtant si l’aventure semblait risquée le résultat fascine et incite précisément à la réflexion. Sur la relativité des points de vue, sur le jeu des miroirs, sur les ombres et reflets.

Le couvent de la Tourette d’Eveux s’est ainsi paré de sculptures modifiant la perception des volumes et ouvrant de nouvelles perspectives. Une complicité inattendue entre deux grands créateurs, une architecte du 20e siècle, un plasticien du 3e millénaire qui s’impose comme un moment exceptionnel dans le cadre de la biennale de Lyon.

« Anish Kapoor chez Le Corbusier », jusqu’au 3 janvier 2016 Couvent de la Tourette, à Éveux (Rhône). Rens. : 04.72.19.10.90 ou sur www.couventdelatourette.fr

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A Nice, la cave à bonheur

DSCF920bartaloUn petit tour à la cave Romagnan un samedi soir, soir de jazz, et les idées grises s’évanouissent. Surtout hier avec le groupe Bartalo Swing. Des musiciens au top de la technicité qui swinguent, improvisent et composent des partitions somptueuses. C’est dingue comme le patron de ce lieu chaleureux et poétique réussit à fédérer les meilleurs! Il est vrai que Manu est unique en son genre. Il a fait de ce bar un théâtre, un café tantôt poétique tantôt philosophique, une librairie et une salle d’expos.

Revenons à Bartalo. Stéphane Durand, Frédéric Lacroix, Philippe Noël et Stéphane Souici se produisent ici assez régulièrement. Alors, pas question de les rater! On va éplucher les agendas et entourer les bonnes dates d’un cercle rouge. Rouge comme le sang qui circule dans leurs trilles. Rouge comme la vie qu’ils célèbrent à leur façon. Rouge comme un ciel qui s’embrase lorsque le soleil a réchauffé les coeurs.

La cave Romagnan, 22 rue d’Angleterre, Nice.

Tous les samedis, jazz de 19 à 22 heures. Micro ouvert le 4e mercredi du mois. Entrée gratuite

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Une oeuvre de Rico Roberto aux cimaises de la cave Romagnan

Réveillez-vous, le Théâtre de Nice va vous secouer!

French director and producer Irina Brook poses for a photographer in Nice, Southern France, on October 02,2014. The daughter of film and theatre director Peter Brook and actress Natasha Parry. Born in Paris, Brook grew up between England and France. Since, January 1st, 2014, she has been named the new Director of the National Drama Center Nice Cote d'Azur. FRANCE - 02/10/2014

Attention! L’heure n’est plus à l’assoupissement qui gagne parfois le spectateur lorsque le rythme se ralentit, après un repas copieux. Non. Irina Brook a décidé de nous faire rêver et… de nous réveiller. Avec une saison riche qui va secouer, amuser, intéresser et faire réfléchir. Pour elle, le théâtre n’a rien d’anodin. Il peut changer la vie. N’est-il pas le lieu de la vraie vie? Dans le sillage des tragédiens grecs Irina Brook a décidé de flirter avec la catharsis, cette purification des âmes qui peut s’opérer face à des comédiens. Et elle cite volontiers Héraclite: « Ceux qui dorment vivent chacun dans leur petit monde. Seuls ceux qui se réveillent trouvent un monde commun ». Elle a donc décidé de nous réveiller avec un vrai festival. Une aventure qui va commencer le 26 septembre lors d’une journée happening avec Hubert Reeves qui assistera à la projection en avant-première du film « Demain » de Mélanie Laurent et Cyril Dion et, pour la première fois, une exposition  sur l’immense plateau de la salle Pierre Brasseur. C’est Armand Scholtès qui sera à l’affiche.

Un artiste qui arpente montagnes et forêts, scrute les paysages de l’arrière-pays, écoute les pierres et caresse les troncs d’arbres. Il marche dans la nature comme un penseur à l’affût de quelque évidence. Puis il se confronte à la feuille, à la toile, au bois, au tissu ou au mur pour y inscrire ses propres émotions. Rien de figuratif dans cette démarche. Il s’agit plutôt d’inventer des paysages imaginaires allusifs et non descriptifs.

« Je parcours les champs. Je suis à la recherche du minéral, du végétal, de tout ce qui fait forme dans l’architecture naturelle de l’arrière-pays. J’y puise la matière brute. Ce qui m’intéresse, c’est de porter un regard sur le connu afin d’aller vers l’inconnu. J e pense que l’artiste est un éveilleur. L’art c’est d’abord la nature. J’aimerais favoriser le retour à cette notion essentielle.

Voilà qui rejoint parfaitement le credo d’Irina Brook qui nous interpelle cet automne avec son festival « Réveillons-nous! »

Théâtre de Nice. Tél 05 93 13 90 90 http://www.tnn.fr

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Monaco: Franck Saïssi entre chien et loup à l’Entrepôt

C05Autant le dire tout de suite, malgré ma sympathie pour cette galerie monégasque qui dévoile de jeunes talents, je n’avais pas vraiment envie d’entrer au vu de l’affiche représentant deux squelettes sur des balançoires… Certes le trait était intéressant et l’humour présent mais de combien de vanités allions-nous être une fois de plus abreuvés? C’est la question que je me posais. J’avais tort. A l’entrée une « danse » improvisée au fusain par deux jeunes filles en fleurs célébrait l’élan vital, la joie. Aussitôt, envie de descendre, de découvrir les dessins de Franck Saïssi dans cet Entrepôt situé au coeur de la Condamine, à Monaco.

Je fis bien. Cet artiste qui a surpris tout le monde en naissant en moins de trois secondes dans un pousse-pousse à Saïgon était destiné à voguer entre la nuit et le jour, entre le noir et le blanc, à la vitesse de l’éclair. Ses encres dérangent ou dérapent, c’est selon. Ironie et tendresse s’épousent. Les autoportraits nous interpellent, nous captivent. Peu ressemblants à moins qu’il ne s’agisse de radiographier l’intérieur… Entre chien et loup, Franck Saïssi se promène dans un univers assez louche pour que l’attraction opère comme un aimant. Chacun y trouvera son petit bonheur.

Jusqu’au 9 octobre. « Lever l’encre » avec Franck Saïssi. L’Entrepôt. 22 rue de Millo. Monaco. http://www.lentrepot-monaco.com

http://www.francksaissi.com

franck saissi

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Migrants: l’art en leur nom chez Bogéna à Saint-Paul

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Mieux que des mots. Plus loin, beaucoup plus loin dans l’émotion et la retenue. Les oeuvre de Franta exposées à la Bogéna Galerie éveillent les consciences par leur simple présence d’une force inouïe. J’ai reçu un coup de poing ou plutôt un coup au cœur. La figure du réfugié, de l’exclu, devient presque concept sans pour autant se défaire de la chair, du sang et des larmes. Cette incarnation puissante en noir et blanc interpelle sans désespérer. Car un supplément d’humanité émane de la toile. Rien, absolument rien de superflu. Lorsque j’ai rencontré l’artiste, que son œil de givre s’est posé sur mon visage, j’ai compris que ce souci de l’autre n’est pas feint. L’art sans âme devient souvent pitreries.

Ernest Pignon Ernest Chapelle St Charles III Avignon 2008 tirage argentique lambda 1 sur 6 120 x 80 cmPhoto Bogéna Galerie

Ici la salle qui célèbre « Le noir dans une itinérance de papier » est habitée. Ernest Pignon Ernest dialogue dans une proximité de pensée avec Franta. Dans ses dessins renversants les corps semblent se diluer, précipités dans le vide ou contorsionnés, désarticulés dans l’inconfort des tensions. Une autre façon de dire l’humanité échouée dan un océan d’indifférence. Migrants, vous n’apparaissez pas directement ici mais l’art s’exprime aussi en votre nom.

Quant à Monique Frydman, ses écritures sur papier de soie célèbrent les cultures du Livre. A moins que ce ne soit simplement le rapprochements des lettres dans leur diversité qui fasse signe pour une meilleure compréhension de soi et des autres.

Bogéna Galerie. Saint-Paul de Vence. http://www.bogena-galerie.com

Céleste Boursier-Mougenot crée un tsunami au Palais de Tokyo

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Certains étaient amusés, d’autres sidérés. Ma cousine (qui n’est plus toute jeune) n’a  « rien compris ». « Je ne sais pas ce que je vais pouvoir dire à mes amis auxquels je raconte toutes mes visites d’expos. Mais, là, vraiment, ce n’est pas possible… ».

Le plasticien niçois Céleste Boursier-Mougenot, qui représente la France à la Biennale de Venise, a créé l’événement au Palais de Tokyo inondé pour son installation « Acquaalta ». Un paysage lacustre aménagé pour offrir au visiteur une expérience sensorielle inédite et dire les menaces de la marée montante. Chacun est invité à prendre place dans une embarcation sommaire et à se frayer un chemin dans le labyrinthe aquatique aménagé pour la circonstance.

Un monsieur assez sympa m’a dit: « Vous voulez bien ramer… ». Et il s’est détendu à l’arrière avant d’avouer: « En fait j’ai beaucoup navigué. J’ai fait de la voile pendant des années ». Le goujat! Je n’ai fait ni une ni deux et lui ai passé le relais. Beaucoup plus cool pour moi. J’ai pu ainsi laisser voguer mon imagination entre l’horizon et Venise.

Après avoir ramé, les visiteurs parcourent l’exposition tandis que leurs mouvements sont filmés et retransmis en direct sur les murs. Vient ensuite la phase du repos et de la méditation. On se retrouve allongé sur une sorte d’île, cerné par des images qui défilent. Tout ceci en musique, l’artiste étant avant tout soucieux de créer un univers sonore en adéquation avec les images qu’il agence. Il le revendique: « Il n’y a que cela qui m’intéresse: expérimenter! ».

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Le peintre talmudiste Garouste chez Maeght

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Un homme, une œuvre. Complexe, littéraire, riche de citations et lourde d’affects. La Fondation Maeght a choisi de raconter cet été l’aventure Garouste. Une aventure artistique, culturelle et, avant tout, humaine. Fils d’un homme haineux et antisémite mis en scène dans une peinture terrible, « Caved », où l’affrontement finit par faire céder l’artiste qui préfère s’effondrer plutôt que de se battre avec son géniteur, Garouste est judéophile, érudit, fou des textes, incollable sur le talmud. L’accrochage d’Olivier Kaeppelin réussit à traduire les tensions, propose une lecture électrique du parcours de cet homme qui, entre crises et psychanalyse, finit par se frayer une existence possible.

Le chemin de Gérard Garouste se profile dans ce musée qui n’en est pas un à la façon d’un peintre qui précisément a compris qu’il s’agit d’être hors du chemin pour mieux s’égarer et ainsi prendre le risque de se trouver. « En chemin » pose la question de la mobilité. Qu’est-ce qu’avancer? En art ou dans la vie l’essentiel réside dans la faculté d’être surpris et de surprendre, de dépasser son  histoire et, à cet égard, Garouste s’impose comme un maître à penser.

GAROUSTE - 2007 - Caved

On perçoit dans ses tableaux les rêves et cauchemars qui peuplent son imaginaire. Près de cent vingt oeuvres dont une vingtaine inédites pour rencontrer ses monstres, percevoir sa souffrance et son génie parvenant à la sublimer.

Cette année encore la Fondation Maeght affirme sa volonté de privilégier l’homme, l’artiste, pour mieux faire résonner ses accents singuliers, uniques. Et c’est ainsi que les plus grands artistes, depuis cinquante ans, habitent ces lieux et que la magie demeure.

J’ai été bouleversée par la soirée au cours de laquelle Julie Depardieu a lu quelques passages de « L’intranquille », le livre de Garouste, accompagnée par les musiciens de Philippe Bender. Cet « Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou » doit être mis dans toutes les mains et, espérons-le, frapper tous les esprits. Afin que ceux qui savent, qui croient savoir et qui cultivent l’intolérance et les préjugés (en art comme ailleurs), puissent tenter un bout de chemin. Au risque de s’égarer…

Jusqu’au 29 Novembre. Fondation Maeght. Saint-Paul de Vence. Ouvert tous les jours de 10 à 18h. http://www.fondationmaeght.com