La Musica cherche le bon tempo au Vieux Colombier

La Musica, La Musica Deuxieme (c ) Laurencine Lot, coll. CF_08

Comme bien d’autres je frémissais à l’entrée du Vieux Colombier où s’enchaînent les deux « Musica » de Marguerite Duras. Une gageure. Une pièce écrite pour la radio et un second acte, si l’on peut dire, lancé vingt ans plus tard. Variations subtiles et vacillantes sur l’amour dont l’auteure du « Marin de Gibraltar » a le secret. Elle qui sait bien que rien ne détruit plus sûrement une passion que l’idée qu’elle puisse durer toujours, elle qui s’appesantit sur cette danse maladroite des amants qui se séparent en sachant qu’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre mais pas davantage ensemble.

C’est le cas d’Elle et Lui enfermés dans une chambre d’hôtel d’Evreux juste avant la signature définitive de leur divorce. Le metteur en scène russe Anatoli Vassiliev, qui s’y connaît sur les errements de l’âme, joue sur différents registres et les deux comédiens ( Florence Viala et Thierry Hancisse, admirables) interprètent à plusieurs reprises des partitions semblables et pourtant différentes. C’est le pari de cette « Musica » en deux parties sur un même thème. Singularité de ton, syllabes allongées ou scandées façon métallique, voix neutres ou lyriques, scalpel pour disséquer les mots puis envolées chargées d’émotions. Certes on varie les plaisirs dans un décor astucieux où escaliers et chausse-trapes illustrent les hauts et les bas du désir, l’impossibilité de se rencontrer alors que l’on se trouve en un même lieu. Même l’apparition de corps nus derrière une vitre sert le discours sur la chair reconnue, trouvée et aimée par ailleurs, l’infidélité ayant été infligée par la douleur d’un amour qui s’éteint.

Des trouvailles  plaisantes pour nous spectateurs. Suffisantes avec le talent des comédiens pour dire que la soirée fut bonne, que l’on ne regrette rien. Si ce n’est cependant que le spectacle s’étire d’une façon presque insupportable vers la fin. Le tempo n’est pas vraiment le bon. Quelques raccourcis serviraient une cause gagnée d’avance pour cette « Musica » qui dans l’écrin du Vieux Colombier résonne comme un appel à la relecture de Duras en clé de sol…itude .

La Musica, La Musica Deuxieme (c ) Laurencine Lot, coll. CF_12

Jusqu’au 30 avril. Théâtre Du vieux-colombier, 21 rue du Vieux-Colombier Paris 6e

20h30 du mercredi au samedi 15h les dimanches. 19h les mardis

Réservations: tél 01 44 58 15 15 . http://www.comedie-francaise.fr

La création vive à Menton avec l’UMAM

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Diversité, images choc ou peintures classiques, provocation, récits et allusions historiques, compositions déroutantes, sculptures captivantes… La création vive se tisse sur un patchwork d’émotions, de réflexions et de recherches graphiques. L’exposition présentée par l’UMAM (Union méditerranéenne pour l’art moderne) en la galerie du Palais de l’Europe, à Menton, témoigne de ce dynamisme. La commissaire Simone Dibo-Cohen rassemble ici des plasticiens renommés et de jeunes artistes prometteurs avec pour seul objectif celui de montrer la richesse de l’art d’aujourd’hui. 70 artistes pour célébrer les 70 ans de l’association.

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Certes le propos est souvent sombre à l’image d’un monde tourmenté. Les artistes s’approprient les malheurs d’une société bousculée par une actualité tragique quand ils ne laissent pas éclater leur désarroi intime. On ne trouvera pas vraiment des messages d’espoir et de joie dans cet ensemble mais ce qui est réconfortant c’est l’émergence de créateurs sincères et inspirés. Ainsi peut-on découvrir les pièces étonnantes d’Evelyne Galinsky convertie sur le tard à la sculpture. Portée par quelque transport venu on ne sait d’où, elle semble vouloir revisiter quelque civilisation ancienne venue d’orient. L’appel de l’ailleurs et l’invitation au rêve. Emouvant.

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Jusqu’au 28 mai. Galerie d’art contemporain du Palais de l’Europe. 8 avenue Boyer. Menton

Odessa, ombre et lumière au TNN

 

Babel-Fenwick Contes d’Odessa Macha Makeïeff

On s’attendait aux lamentations des violons, au discours déchirant d’un peuple condamné à la fuite par ses bourreaux, au charme mélancolique et fou de l’âme slave. Tout ceci est bien là, omniprésent, émouvant, mais en filigrane. Macha Makeïeff a choisi la sobriété glaciale des mots d’Isaac Babel, l’un des plus grands écrivains russes, et Philippe Fenwick lui répond en écho depuis le monde d’aujourd’hui. Retour impossible et pourtant rêvé à Odessa, « la Marseille slave » dit-on ici, « Le Nice de la Russie » disait ma grand-mère.

Le parti pris de l’économie fonctionne car lorsque la vérité est là, le silence se fait pour écouter sans broncher, sans pathos, sans dérivatif, les mot nus qui disent l’isolement, la misère, l’exclusion et la barbarie. Seules des mains apparaissent en fond de tableau sur une vidéo, déchirante tentative d’échapper aux pogroms. C’est tout. Et ça suffit.

Pour le reste cette fiction à deux voix, celle d’Isaac Babel et celle de Philippe Fenwick, à l’affiche du Théâtre National de Nice, se muant en une étrange correspondance entre deux voisins de palier qui s’imaginent chacun sur les bords de la mer Noire devient une fable contemporaine non dénuée d’humour. Une double lecture, la même soif de renouer avec les origines. Anton et Marie sont les enfants de juifs odéssistes qui ont fui le régime soviétique. Oublier Odessa? Impossible. Retourner à Odessa? Difficile. Alors, vivre Odessa, autrement, sur une scène de théâtre. Pari réussi.

« Lumière d’Odessa ». Dernière représentation ce soir, samedi, à 20h30.
Théâtre National de Nice. Tél 04.93.13.90.90

Charlotte Salomon, la vie à la folie

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Je le dis souvent, pour moi, entre la vie et le théâtre il n’y qu’un écart de langage. Cet écart, c’est la possibilité de sortir de soi, de transcender le réel, de créer. Si cette exposition ne faisait que retracer le chemin tragique d’une jeune fille douée pour la vie et massacrée par les nazis elle m’aurait bouleversée de toutes les façons. Mais ici il y a autre chose, une espèce de rage de vivre insensée qui parvient à transmuer le destin en art, sous l’intitulé: « Charlotte Solomon Vie? ou théâtre?

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Merci à la ville de Nice de permettre ainsi à Charlotte Salomon de vivre parmi nous en prenant possession du Musée Masséna, cœur palpitant de l’histoire de la cité. Une façon magistrale d’œuvrer pour le devoir de Mémoire en ces temps où fleurissent à nouveau des slogans antisémites évoquant les pires heures de l’histoire.

Charlotte Salomon s’est débattue de toutes ses forces durant sa trop courte existence (elle mourut à Auschwitz à l’âge de 26 ans, enceinte de cinq mois) contre la pulsion de mort. Confrontée à une série de suicides dont celui de sa propre mère, occulté en « grippe », elle n’eut de cesse de célébrer la vie. Envoutée par la musique qui accompagne toute son œuvre et dont on entend parfois des accords par la magie des tonalités picturales, éblouie par les reflets du soleil sur la Méditerranée qu’elle chérit tant, par l’amour, la générosité, l’amitié. Et, animée d’une sorte de frénésie vitale, elle légua un ensemble fabuleux de peintures et dessins retraçant son périple et les accidents de l’histoire, la petite et la grande, qui finirent par l’assassiner.

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Il y a du génie dans ce graphisme délicat et tourmenté et la scénographie inédite sert une exposition qui fera date. On suit le parcours de la jeune fille un peu comme on lirait une bande dessinée et les mots, en parfaite harmonie avec les gouaches, permettent de confirmer le ressenti que l’on éprouve en regardant les images. Une expérience fabuleuse au niveau artistique et au niveau humain. Je comprends vraiment, en déambulant dans les salles du musée Masséna comment David Foenkinos a pu choisir de consacrer un livre à la vie de cette jeune femme. Je vais le lire sur le champ.

Jusqu’au 24 mai. Musée Masséna. 65 rue de France. Nice

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Le Musée des tissus de Lyon sauvé!

IMG_1363.jpgJ’ai relaté ici les mésaventures du Musée des tissus de Lyon menacé de fermeture pour des raisons financières. Grâce à la mobilisation tous (près de 100 000 signatures) et surtout grâce à la dépêche AFP signée Sandra Laffont et largement relayée par les médias, ces collections exceptionnelles sont provisoirement sauvées.

Le maire de Lyon Gérard Collomb s’est engagé à participer au budget 2016 de l’inestimable institution pour éviter sa fermeture. Après l’État et la région Auvergne-Rhône-Alpes mardi, la ville a donc réagi dans le bon sens. Souhaitons que des solutions pérennes puissent être trouvées!

Musée des tissus.  34 Rue de la Charité, 69002 Lyon

Tél: 04 78 38 42 00

Bernard Taride la tête dans le miroir

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« Les artistes ont cherché à réinterpréter le monde à leur façon. Moi je réintègre le spectateur, il y a réciprocité entre l’œuvre et le spectateur sur des plans différents, avec des corps morcelés. L’œuvre crée une interdépendance avec le regardeur. Et le regard du voyeur est souvent empreint de culpabilité ».

Culpabilité d’ordre narcissique ou crainte de trahir le réel? Bernard Taride n’en finit pas de nous interroger sur notre rapport aux apparences, aux reflets (de l’âme?), aux faux semblants et effets d’optique (selon l’angle de vue et le parti pris). Sa passion pour le miroir, matériau dur, glacial et pourtant d’une certaine façon infiniment flexible produit des œuvres fascinantes qui piègent le regard mais incitent, c’est le moins que l’on puisse dire, à la réflexion.

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Pratiquant un humour parfois ravageur, l’artiste joue à la corde dont il enveloppe volontiers ses sculptures de glace, plante une hache en plein miroir ou isole des parcelles de corps, des lettres (ART, JAZZ…)  pour mieux dire l’essentiel. A présent il choisit de griffer le miroir devenu une surface monochrome pour y inscrire a minima quelques traits de lumière. Tout ceci pour « réfléchir autrement », étape supplémentaire dans le processus de création et dans la relecture de Platon qui se méfiait des illusions, des apparences et de l’ignorance.
« L’art d’imiter est bien éloigné du vrai et, s’il peut tout exécuter, c’est, semble-t-il, qu’il ne touche qu’une petite partie de chaque chose, et cette partie n’est qu’un fantôme » disait le philosophe. Chez Taride retrouvera ses fantômes au risque de se perdre. Expérience vivifiante.

FullSizeRender 2« Réfléchir Autrement ». Jusqu’au 12 mars. La Conciergerie Gounord. 22 rue Gounod. Nice Tél 06 61 32 07 56