Quelque part, sur quelque rivage éclaboussé par une chaude Méditerranée, dans un village aride comme la pensée vierge de savoir, luxuriant comme une forêt envahie de papillons… Des femmes. Des femmes qui depuis des siècles parlent et gesticulent comme si elles avaient six bras (c’est l’auteur qui l’a dit lors d’une interview). Rongées par « le cancer de la soumission », elles sont pourtant diablement vivantes.
Ces femmes incarnent sur la scène du Théâtre de Nice « Le dernier jour du jeûne », allusion à une tradition qui voulait qu’après trois jours de disette la jeune vierge voie dans ses rêves son futur mari. Simon Abkarian signe le texte, met en scène et incarne le patriarche dans cette pièce bigarrée à l’image d’une Méditerranée que le merveilleux chanteur Herbert Pagani appelait affectueusement « mémé d’azur ».
A ses côtés, Ariane Ascaride est bouleversante de vérité. Mère du sud, mère italienne, mère juive ou mère des îles ioniennes… Elle incarne avec truculence cet amour jusqu’au boutiste et envahissant qui écrase les enfants tout en leur donnant une force herculéenne, celle de la confiance en soi, confiance qui vient des langes. Ce couple de comédiens magnifiques suffit à justifier le déplacement. Comme les changements de décors à vue selon un ballet harmonieux dans une lumière oscillant entre le plein jour, le soleil invoqué dès le début du spectacle, et la nuit crépusculaire frappée de bleu intense. Pour moi, cette nuit est plus belle que le jour dans cette pièce. Ce qui n’est pas vraiment dit mais suggéré me touche davantage que les vociférations sur le plateau de femmes qui crient un peut trop fort. Les cicatrices que l’on devine font bouger les lignes plus que les revendications de femmes qui, par endroits, peuvent faire songer à la problématique des « Femmes savantes ». En effet, il est dit que le savoir est réservé aux hommes et la seule femme qui affiche ici son intellect frise la folie.
Cela dit, je ne résiste pas au désir d’une petite confidence. L’un de mes plus beaux moments de théâtre au cours d’années de critique et de spectatrice passionnée, me fut offert par ce même Simon Abkarian mis en scène par une certaine Irina Brook qui aujourd’hui préside aux destinées ce cette grande maison. Il s’agissait d’ « Une bête sur la lune », un spectacle empreint des drames arméniens. A la sortie de la salle, ici même au Théâtre de Nice, je ne pouvais prononcer une parole.
« Le dernier jour du jeûne », lui, entraîne bien des discussions dès que se taisent les applaudissements, au demeurant fort nourris. L’émotion est donc d’un autre ordre mais l’humanisme de Simon Abkarian lui, est intact.
Théâtre de Nice. Tél 04 93 13 90 90