Il existe des univers dont les portes s’entrebâillent avec difficulté, dont les clés entrent dans des cylindres permettant un jeu qui finalement bloque l’entrée. C’est un peu l’impression que donne l’immense artiste Eduardo Arroyo dont l’exposition à la Fondation Maeght annonce la couleur avec cette femme dont les larmes se figent et qui dit toute la souffrance d’un peuple malmené par la dictature.
Tina, femme de mineur, vient d’être rasé par les Franquistes. Elle devient une icône par la magie de l’art et en elle se joue toute la problématique de l’artiste espagnol chez lequel la mort, omniprésente, titille les pinceaux, parfois sous une ironie mordante.
Seulement voilà, le peintre reste un sacré farceur qui pratique la polysémie comme il respire et brouille les cartes lorsque l’on s’avance vers une interprétation simpliste. N’a-t-il affirmé lors de la visite réservée à la presse « J’aimerais être bibliothécaire et non peintre car cela ne me satisfait pas! »? Clin d’œil de ce provocateur qui rappelle: « Quand j’ai débuté, vendre un tableau de moi, c’était mal vu ». Mais cet art lui colle à la peau: « Je serai toujours un peintre même si je pratique la petite littérature… ».
Et ce n’est certes pas la visite de la Fondation qui pourra nous inciter à penser différemment. Eduardo Arroyo apparaît comme un artiste qui se joue en souriant des scénographies mythologiques ou politiques. Considéré comme l’un des grands peintres espagnols de sa génération, il peint l’humanité à travers des jeux d’images trouvant leur origine dans la société, l’histoire de l’art ou la littérature.
Également écrivain, il utilise la narration par fragment, avec humour et goût du paradoxe. Une œuvre picturale extrêmement construite faisant preuve d’une liberté constante. Eduardo Arroyo a choisi lui-même avec un soin particulier, mariant l’absurde et l’ironie, le titre de l’exposition à la Fondation Maeght, « Dans le respect des traditions ».
« Ce titre est celui d’un tableau où le même paysage est traité par quatre « à la manière de »…. Ce « divertissement » indique que la peinture peut tout. Elle peut nous convaincre de la vérité d’un sujet ou d’un point de vue, mais elle n’est aussi qu’un jeu avec les styles, avec ce plaisir de leurrer et de faire expérimenter « le peu de réalité » du monde ». Olivier Kaeppelin, dans un article « L’orage gronde longtemps » publié dans un magnifique catalogue édité chez Flammarion à l’occasion de cette exposition, nous ouvre un fois de plus les portes qui permettent d’avancer vers la vérité d’une œuvre et d’en percevoir toute la complexité.
Le voyage peut alors commencer dans les salles et les jardins de la Fondation pour, une fois encore, ressentir combien l’art est vivant et nous aide à vivre. Et c’est ici que l’on peut dire qu’Eduardo Arroyo respecte la tradition chez Maeght.
Jusqu’au 17 novembre. Fondation Maeght. 623 chemin des Gardettes. Saint-Paul. http://www.fondation-maeght.com