Paris en rouge et noir: Rothko au théâtre et Soulages au Louvre

Il y eut un jour dans le New York vibrant des années cinquante un homme qui voyait rouge. Un peintre génial, tonitruant, tour à tour exalté ou brisé. S’envolant avec ses larges pinceaux pour traquer les glissements imprévus de la couleur sur la toile, anéanti par la bêtise de petits bourgeois désireux d’acquérir une peinture pour coiffer leur canapé. Les remous, incertitudes, hésitations et revers de Rothko ont inspiré à John Logan un texte dense et lumineux. Des mots révélant les orages intérieurs d’un créateur confronté à la mode, au snobisme et au pouvoir de l’argent. Ce fou étrange et dérangeant est magistralement incarné par Niels Arestrup sur la scène du théâtre Montparnasse à Paris. Face à lui, un assistant malmené et finalement meneur de jeu ciselé par un jeune comédien hyper doué, Alexis Moncorgé.

Un grand moment de théâtre qui nous plonge dans l’univers de Marc Rothko courtisé par la jet set et indigné par l’ignorance de pseudo amateurs visant la notoriété à travers la possession d’œuvres reconnues par le monde de l’art contemporain. Il finira par refuser la commande mirobolante du très chic restaurant du « Four Seasons ». Un geste magnifique qui clôt ce débat philosophico-artistique prenant le spectateur dans ses filets pour le faire réfléchir sur l’art, la sincérité et les impostures des plasticiens d’hier et d’aujourd’hui. Vaste question qu’avec brio Niels Arestrup interrompt avec un mot qui sonne la fin: « Noir! ».

Un mot magique pour nous mener tout droit au Louvre dont deux salles sont consacrées à Soulages qui fête son centième anniversaire. Vingt toiles retraçant le parcours de celui qui, utilisant le goudron et le brou de noix a travaillé avec toutes sortes d’ustensiles, brosses, lames, bâtons, pour faire surgir du néant un éventail infini de gris métallisés, de bruns insoupçonnés, de noirs subtils.

Le peintre de l’outrenoir est ainsi exposé de son vivant dans le Saint des saints. Et, à plus de 99 ans, il a réalisé pour l’occasion trois nouvelles peintures. Des grands formats accrochés dans le Salon Carré dont l’éclairage naturel rehaussé par quelques empreints techniques met merveilleusement en valeur les jeux de lumière dansant dans les sillons du noir profond. Nouvelles recherches dans les plis et replis de cette couleur qui en vaut cent par les nuances infinies que le geste pictural peut induire.

Auparavant Pierre Soulages avait utilisé le blanc pour infuser le contraste et capter l’attention sur les reflets sombres. Aujourd’hui il ne transige pas. Le noir est seul, magistral, captivant. Un seul pot de peinture pour une coulée verticale ou un diptyque où il a savamment creusé deux sillons, l’un oblique l’autre horizontal, pour livrer son message de toujours dans une forme radicalement neuve. Le noir est le tout de la couleur. Il règne sans partage sur la peinture.

« Rouge » de John Logan dans une mise en scène de Jérémie Lippmann actuellement au théâtre Montparnasse à Paris et à ANTHEA à ANTIBES au cours de la saison prochaine.

Exposition Pierre Soulages au Louvre jusqu’au 9 mars 2020.

Voyage dans le temps avec Charlotte Pringuey-Cessac à l’affût d’un »bruit originaire »

Travail sur la mémoire enfouie au fond des siècles, sur les traces et leur interprétation à la lumière des données scientifiques actuellement à notre portée. La plasticienne Charlotte Pringuey-Cessac s’est lancée dans une quête des origines qui fait fi des barrières spatio temporelles. Comme s’il s’agissait d’abolir la distance afin d’accéder, selon les mots du poète Rainer Maria Rilke à un « bruit originaire » afin d’entendre la mémoire d’un être disparu en parcourant les sillons de son crâne selon le principe de premiers phonographes. Démarche singulière s’il en est mais non dépourvue d’une poésie surréaliste que matérialisent des sculptures de verre, véritables pièces d’orfèvrerie dont la fragile complexité évoque les méandres d’un cerveau qui n’est plus.

Première étape de ce voyage dans l’au-delà de la matière au musée de préhistoire Terra Amata où le directeur Bertrand Roussel multiplie les paraboles non dépourvues d’humour pour guider le visiteur dans ce dédale qui ouvre des chemins entre l’apparition des premiers hommes il y a 400 000 ans en cet endroit même et les recherches artistiques et scientifiques des créateurs d’aujourd’hui. Ainsi découvre-t-on un mur d’escalade, répondant à la descente dans les entrailles de terre qu’impliquent les fouilles archéologiques. S’inspirant des véritables pièces (premiers outils) du musée, Charlotte Pringuey-Cessac a eu l’idée de cette ascension symbolique.

Au Mamac l’incursion dans le passé, la mémoire et les vestiges de l’être prend une autre allure. Une salle immaculée, vide, vierge de toute empreinte, accueille les porcelaines aériennes de charlotte Pringuey-Cessac dont la ligne, tracée au charbon, dit l’importance de trait, l’évidence et la sobriété du dessin. Un peu comme si la mémoire ne tenait qu’à un fil. Un tissage entre les êtres par delà les siècles.

Jusqu’au 17 mai. Musée de préhistoire de Terra Amata. 25 Bd Carnot.

Galerie contemporaine du MAMAC. Place Yves Klein. NICE