La Bourse du commerce, un écrin novateur pour la collection Pinault

« Dis maman, ça c’est pas de l’art? ». La réflexion d’un bambin qui faisait ses premiers pas sur les chemins de la création vivante à la Bourse du commerce de Paris, merveilleusement rénovée pour devenir le nouvel écrin de la collection Pinault, avait de quoi interpeller. Cet enfant était-il extralucide ou simplement ennuyé par cette visite un peu difficile pour lui? L’histoire ne ne dit pas mais je ne résiste pas au désir de la noter. Ne serait-ce que parce qu’elle colle parfaitement avec les objectifs de ce lieu qui désire ouvrir l’art contemporain au grand public, mieux à tous les publics. Et ce n’est pas une mince affaire.

Pour ma part, ayant une grande habitude de la chose et possédant me semble-t-il les outils pour pouvoir m’aventurer dans les méandres de la création la plus déroutante qui soit, j’ai pourtant dû retourner une seconde fois et avoir recours à de jeunes médiateurs fort judicieusement présents dans les salles afin d’éclairer les visiteurs. En effet, après avoir vu avec effroi un chat empaillé, qui ressemblait à s’y méprendre à celui de ma fille quitté quelques instants plus tôt, trôner sur un tambour, je ne savais plus trop quoi penser des choix inspirés du milliardaire anticonformiste amoureux de l’art contemporain et ayant choisi un vocable merveilleux pour sa première exposition: « Ouverture » … Je vis les choses différemment lorsque j’appris que David Hammons (dont on découvre ici un ensemble unique de créations surprenantes) avait en fait empaillé plusieurs chats afin de ses référer aux « cats », les premiers musiciens de jazz. En effet cet artiste installé à Harlem s’impose comme une voix militante de la communauté africaine-américaine. Certaines œuvres ont d’ailleurs d’emblée un impact certain sur les visiteurs.

Comme le regard ironique qu’il pose parfois sur l’art reconnu (ci-dessus une parcelle de toile abstraite américaine recouverte de plastique troué afin de la faire descendre d’un piédestal marqué par l’emprise d’une classe qui frise l’entre-soi). Le discours est donc intéressant, mieux rafraîchissant pour l’esprit. Seulement voilà: l’art est-il discours? Vaste question à aborder à la lumière des propos de Jean-Jacques Aillagon, directeur des collections Pinault, qui souligne judicieusement dans une interview l’importance de l’émotion.

Oui, l’émotion, qu’elle soit esthétique, sentimentale, intellectuelle, rageuse ou sereine, ne peut être gommée quelque soit l’intelligence des installations muséales. A force d’expliquer l’art on aurait tendance à l’oublier.

Mais revenons à cet édifice que l’architecte génial Tadao Andō a transformé en réalisant une coursive intérieure de 91 mètres de long et culminant à 9 mètres de hauteur afin d’observer les œuvres. Sans perdre sa prestance ce monument historique qui présida jadis aux commerce des marchandises est devenu un temple de l’art en devenir. En son centre et spécialement conçue pour la ronde, une installation saisissante du plasticien Urs Fischer. Réplique exacte de « L’enlèvement des Sabines » de Giambologna, chef d’œuvre de la statuaire maniériste, la sculpture semble marbre alors qu’elle n’est que cire. Comme tous les éléments de cette composition, la statue doit se consumer, fondre au fil du temps, gagnée par le hasard et l’entropie. Pied de nez à la volonté de fixer, de maîtriser, de gouverner les décors, voire le réel.

D’une autre façon, tout aussi réussie et captivante, Pierre Huyghe a installé dans un studio du 2e étage un système auto-génératif pour son et lumière sensible à la température, à l’humidité et aux mouvements des visiteurs enregistrés à l’aide de capteurs. Une œuvre capable de générer un monde qui varie dans le temps et l’espace sur le rythme d’une courte pièce sonore signée Erik Satie. Une véritable aventure qui en annonce bien d’autres en ce lieu que nul visionnaire n’aurait pu imaginer.

Post-impressionnisme flamboyant chez Caillebotte, à Yerres

Chaque époque eut ses précurseurs, des galeristes avisés qui dénichent des pépites parfois masquées par la réussite fulgurante de certains ou par la mode. Ce fut le cas de Paul Durand-Ruel célèbre pour s’être illustré en tant que « marchand des impressionnistes » mais qui défendit également cinq peintres de la génération post-impressionniste moins connus malgré un talent indéniable. Une exposition de haute tenue répare cette injustice dans les salles de la propriété Caillebotte, à Yerres. Deux commissaires historiens d’art, Claire Durand-Ruel et Jacques-Sylvain Klein ont effectué un travail minutieux pour donner un nouvel éclairage sur cette période flamboyante.

On découvre les paysages tourmentés de Maxime Maufra dont Paul Durand-Ruel acquit pas moins de neuf cents toiles, les compositions scéniques de Georges d’Espagnat dont la palette flirte avec les couleurs incandescentes des Fauves, les tableaux délicats et aériens de Gustave Loiseau, les peintures puissantes d’Albert André, les roches baignés d’écume d’Henry Moret…

Cinq artistes captivants grâce à leurs art singulier tranchant sur le grand élan impressionniste par une façon très personnelle de concevoir la peinture à venir. Tout ceci dans l’écrin superbe de la propriété Caillebotte qui reçoit régulièrement des existions de grand intérêt..

Jusqu’au 24 octobre. propriété Caillebotte. Yerres. Essone.