Simone Veil, le cœur, le courage, l’honneur

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J’ai entendu bien des paroles émues dès l’annonce de votre disparition, Madame. Et l’on a salué en vous une femme de culture et de lettres, ce qui vous a valu d’ailleurs de devenir immortelle lors de votre entrée à l’Académie. Je saisis ce prétexte (mais en faut-il un…) pour vous rendre hommage dans mon modeste blog artistique.

J’ai entendu parler de votre « mauvais » caractère. Je rectifie. Vous aviez du caractère, ce qui est très différent. J’en fis moi-même les frais pour avoir insisté de façon trop appuyée, et je dois l’avouer avec le recul un brin inconvenante, auprès de votre secrétaire pour obtenir une interview exclusive. J’y parvins néanmoins mais non sans avoir reçu au téléphone une volée de bois vert de votre part. C’était juste. Comme finalement tout ce que vous avez effectué durant votre existence.

On a loué votre courage dans cette lutte sanglante que vous avez dû mener pour faire passer devant « une assemblée d’hommes » comme vous l’aviez dit, une loi libérant les femmes. Mais vous n’étiez pas de ces féministes de pacotille qui oscillent entre « cachez ce sein… » ou « ne m’ouvrez pas la porte ». Vous m’aviez raconté, grâce à une sympathie (au sens fort) instaurée entre vous et moi, combien vous aviez été sensible à la cour assidue que certains messieurs vous avaient faite. Car vous étiez belle, de cette beauté inaltérable qui se gausse du temps qui passe.

Cette beauté était telle qu’elle vous sauva la vie lorsqu’une tortionnaire choisit de vous faire passer dans un camp de travail où vous aviez une chance d’échapper à la mort organisée. Ce fut le cas car, malgré les souffrances endurées, malgré la faim, le froid et les coups, jamais les bourreaux ne parvinrent à vous briser l’échine. Cette dignité chevillée au corps vous a sans doute permis de sauver votre âme car c’était elle d’abord que l’on voulait anéantir.

C’est si vrai que l’Europe fut votre œuvre, mobilisa toute votre énergie bénéficia de toutes les avancées qu’en tant que présidente du Parlement européen vous parvîntes à insuffler. Comment faire si bien taire la haine, le ressentiment? C’est ici qu’intervient votre première qualité, parfois gommée par toutes les louanges célébrant votre intelligence, votre courage, votre force: le cœur. Vous me l’aviez expliqué, vous ne vouliez pas du risque d’une nouvelle guerre. Vous saviez que la paix dépendait étroitement du rapprochement franco-allemand. Alors, pour les générations futures, vous avez bâti, avec quelques autres, l’Europe. Il ne s’agit pas ici de parler politique. D’ailleurs vous détestiez la petite politique mesquine qui agite les mauvais acteurs du pouvoir. Il s’agit simplement de souligner qu’avant même d’être la femme remarquable que vous avez été, en tant que magistrate ou en tant que Ministre, vous étiez mue par une immense bonté. Celle-là même que vous avait léguée votre maman, m’aviez-vous confié.

Alors aujourd’hui la France pleure. Et pour une fois nous pouvons dire toute la France. Car vous aviez réussi Madame, par delà les clivages imbéciles qui  empêchent de progresser, à réunir dans un même élan tous les Français, de gauche comme de droite. Vous l’aviez toujours dit, vous étiez du centre droit. Certains ont ajouté, avec des idées de gauche… Peu importe. Vous étiez la droiture incarnée. Puisse votre exemple rejaillir sur nos contemporains et puisse votre souvenir participer au devoir de Mémoire qui vous était si précieux et que vous avez si merveilleusement servi.

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Tobiasse messager de la lumière

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Je me souviens, Théo. C’était chez toi, du côté de Saint-Paul, un joli jour de printemps. Tu m’avais reçue dans ton atelier et nous nous étions promenés dans le jardin. Tu disais: « Regarde, c’est mon verger. Tu sais, verger et paradis, c’est le    même mot en hébreu… ». Ton œil pétillait, tes lèvres dessinaient un sourire discret. Depuis ce jour, je rêve d’avoir un arbre.

Tu aurais eu 90 ans cette année et la Côte d’Azur rend hommage à ton talent et à ton message profondément humain, porteur de lumière et d’espérance.

IMG_1137 Grandes peintures mais aussi céramiques sont à l’honneur à Vallauris. « Les Lumières de l’espoir », voici un intitulé qui correspond merveilleusement à l’art de Théo Tobiasse. Dans le superbe écrin du musée Magnelli, musée de la Céramique, nous pénétrons dans son univers multiple. La famille, les femmes, les voyages voire l’exode, l’érotisme, les musiciens… Des thèmes qui, tout au long d’une vie de création, n’ont cessé d’inspirer à l’artiste des figures émouvantes, généreuses, tour à tour exultantes de gaieté ou empreintes de nostalgie.
IMG_1134Autre angle de vue à la Maison des quartiers où sont exposées des céramiques d’édition, réalisées dans l’atelier de Gérard Crociani, d’après des originaux de Tobiasse. Le public peut également découvrir dans les salles d’exposition la technique d’édition céramique et celle des tirages en bronze.

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D’autres lieux sont enchantés par les lumières de Tobiasse. Saint-Paul, son village « en forme de bateau ivre sur fond de colombes ambrées par le soleil couchant » comme l’écrit sa fille, Catherine Faust-Tobiasse. Des œuvres monumentales ponctuent la promenade dans les ruelles, sur les remparts, et des photographies intenses signées André Villers sont exposées aux endroits précis où elles furent réalisées dans les années 80.

Un détour par Le Cannet s’impose aussi pour contempler la chapelle où maquettes et dessins préparatoires évoquent le travail qui permit la décoration du lieu sur le thème « La vie est une fête ». Cette fête que Théo, après les souffrances innommables de la période nazie, n’eut de cesse de célébrer et partager avec ses amis.

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Jusqu’au 30 octobre. « Les Lumières de l’espoir ». Théo Tobiasse. Musée Magnelli, musée de la céramique. Place de la Libération. Vallauris
http://www.vallauris-golfe-juan.fr

« Tobiasse: portraits de mon village ». Espace Verdet. Saint-Paul

« La vie est une fête ». Chapelle Tobiasse. Rue Saint-Sauveur. Le Cannet.

Le Corbusier et Eileen Gray, l’architecture vivante au Cap Martin

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IMG_0756Réhabilitation d’un site magique au cœur duquel se trouve le fameux Cabanon de Le Corbusier, l’une des dix-sept réalisations de l’architecte franco-suisse inscrite depuis l’an dernier au Patrimoine mondial de l’Unesco. Dans cet environnement de carte postale se trouve un riche patrimoine architectural. Les premiers habitats conçus par Le Corbusier pour des vacances entre camping et maison de villégiature surplombent la célèbrissime  Villa E-1027,  paquebot immaculé au-dessus de la Méditerranée dont les persiennes évoquent le bleu, œuvre de la créatrice irlandaise Eileen Gray et de l’architecte Jean Badovici.

L’association  Cap Moderne vient par ailleurs d’inaugurer au Hangar, espace culturel d’un genre nouveau situé dans l’ancienne gare de Roquebrune Cap Martin, une exposition réalisée en collaboration avec le Centre Pompidou qui fête cette année son 40e anniversaire.

Il s’agit de rendre hommage au génie de la créatrice d’ Eileen Gray à la fois architecte, designer, peintre, photographe, dont les oeuvres ont traversé l’Art Déco et le Mouvement moderne. Une exposition qui dialogue directement avec la Villa E-1027 et qui permet d’entrer, en prélude à la visite de la maison, dans l’univers intime de cette grande dame dont les meubles, somptueux, fantaisistes, poétiques, ont pulvérisé tous les records aux enchères publiques.

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Décor sobre, fonctionnel, minimaliste, où la lumière tient le premier rôle. Allusions à Baudelaire, jeux de lignes et de miroirs, recoins, paravents, invention pure. Eileen Gray, libre, imaginative, frondeuse, savante, à l’écart des modes et des conventions. Le génie à l’état brut. Eileen Gray qui n’a cessé de surprendre avec ses dessins, ses meubles, ses objets en laque, ses tissages. Toujours parmi nous, toujours vivante.

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EILEEN GRAY, UNE ARCHITECTURE DE L’INTIME. Jusqu’au 31 octobre.Association Cap Moderne, Esplanade de la gare, (gare de Cabbé). Avenue Le Corbusier, Roquebrune-Cap-Martin

Images exquises à Uni-Vers-Photos

FullSizeRenderPari audacieux et ludique avec, en bout de course, un chemin pas si tortueux que ça, tout à tour bucolique, poétique, politique, facétieux… Le principe du « cadavre exquis » cher aux surréalistes a été retenu par Uni-Vers-Photos, un laboratoire d’idées et d’images où décidément il se passe toujours quelque chose, pour une expo impromptue qui mêle créativité, humour décalé et correspondances colorées.

A partir d’une première photo signée Isabelle Blondeau, d’autres joueurs ont été sollicités pour apporter leur contribution à ce parcours fléché et pourtant énigmatique. Seize photographes se sont prêtés au jeu, chacun riche de ses expériences, de ses fantasmes, de ses idées, et (ou) empêtré dans ses difficultés.

Le résultat est à découvrir pour le plaisir de voir, de deviner, de rêver et de constater qu’il existe encore des lieux alternatifs (comme on dit) porteurs et requinquants pour la pensée.

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Jusqu’au 30 juin. « Photos exquises ». Uni-Vers-Photos, 
1, rue Penchienatti. Nice

La galerie des miroirs de Sandra Lecoq chez Eva Vautier

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Bienvenue dans une nouvelle galaxie! Sandra Lecoq a changé de visage ou plutôt de medium pour nous surprendre. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’une révélation intime de la part d’une artiste singulière qui, quoi qu’on en dise, n’a jamais rompu avec la peinture. La première pièce, gigantesque, présentée à la galerie Eva Vautier, reste fidèle à cette seconde peau dont s’aime s’affubler la jeune femme. Une photographie de Sandra Lecoq de dos drapée dans une immense robe nuptiale rapiécée et souillée, confectionnée avec des chiffons d’atelier. Effet garanti.

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Mais il faut s’aventurer dans l’antre de la galerie immaculée pour découvrir une trentaine de portraits rassemblés sous l’étrange intitulé « Autoportrait des autres en noir ». Pourquoi? Sans doute parce que l’altérité interroge le soi, parce qu’il n’y a pas de rencontre, fût-elle imaginaire, sans une introspection qui s’enrichit des pensées, des émotions, des espoirs et des monstres, de l’autre. Nous rencontrons ici Simone Veil, Sigmund Freud ou Frida Kahlo…

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Portraits profonds, sentis, qu’on ne peut dire abstraits bien qu’une idée non picturale en émane. Comme s’il y avait ici un je-ne-sais-quoi qui brouille les cartes, qui dilue la photographie pure dans l’huile bouillante des interprétations.

Galerie de miroirs que nous tend une artiste fouineuse et multiple. Portraits réalistes et séduisants mais assez énigmatiques pour poser une fois encore la question de la peinture. Question sans cesse renouvelée qui interroge bien des idées surfaites sur ce thème. Sans Lecoq, à sa façon, écrit un chapitre de l’histoire de l’art.

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Jusqu’au 23 septembre. galerie Eva Vautier. 2 rue Vernier. Nice

 

Le bonheur signé Louis Cane chez Helenbeck

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La couleur dans l’extase. La couleur, pure métaphore d’un discours sur la vie. La couleur comme on aime la contempler, comme on aimerait la toucher, la caresser, tant elle apparaît fluide, généreuse et sensuelle.

« Heureux comme les couleurs en France ». Un drôle d’intitulé qui rappelle quelque chose… Peu importe si le rapprochement est fondé. Toujours est-il que Louis Cane nous offre avec bonheur ses dernières pièces à la galerie  Helenbeck qui, dans le cadre des expositions célébrant cet été le 70e anniversaire de l’Ecole de Nice, a choisi de mettre en lumière le travail de l’un des novateurs du mouvement Supports/Surfaces.

FullSizeRenderDe la déconstruction de la peinture aux Nymphéas de Monet, voici une exposition immersive entre peinture abstraite traditionnelle et résine colorée. « Je suis dans la couleur comme un poisson dans l’eau » dit l’artiste. On le constate devant ces aplats colorés, devant ces toiles transparentes et acidulées, devant ces résines que Louis Cane a mises au point pour obtenir un rendu translucide et brillant. Un fin grillage immergé dans les couleurs remplace le tissu apprêté et donne une impression étrange, magique.

Pourtant si le plaisir est intact, la couleur toute nue ouvre l’imaginaire et incite à la réflexion. Sur l’art, sur la nature, sur l’histoire de la peinture.  « Toutes les couleurs que l’impressionnisme a mises à la mode sont changeantes, raison de plus pour les employer hardiment trop crues, le temps ne les adoucira que trop » disait Van Gogh…

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Jusqu’au 15 août. Galerie Helenbeck. 6 rue Défly. Nice

 

L’itinéraire inspiré de Paul Rosenberg au musée Maillol

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Une leçon d’histoire, une leçon d’humanité. Une fabuleuse initiation à l’instinct créatif et au flair du découvreur. Le Musée Maillol rend hommage à Paul Rosenberg, un collectionneur inspiré qui devint l’un des plus célèbres marchands d’art de la première moitié du 20e siècle. Il sut en effet tendre des passerelles entre la peinture d’hier (classique, reconnue, établie et respectée) et celle d’aujourd’hui (alors encore secouée dans les soubresauts d’un art moderne naissant). De l’impressionnisme au cubisme l’écart donnait le vertige à certains. Paul Rosenberg, tout en respectant la sensibilité de chacun, ne renonça jamais à ouvrir le regard de ses clients sur les nouveaux horizons de la planète artistique.

L’exposition « 21 rue La Boétie »rassemble une soixantaine de chefs-d’œuvre de l’art moderne (Pablo Picasso, Fernand Léger, Georges Braque, Henri Matisse, Marie Laurencin…), pour certains inédits en France et provenant de collections publiques majeures telles le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay, le Musée Picasso à Paris, ou encore le Deutsches Historisches Museum de Berlin, ou d’importantes collections particulières comme celle de David Nahmad. Le portrait d’Anne Sinclair enfant par Marie Laurence (voir ci-dessus) témoigne du soutien actif de la petite-fille du galeriste, auteur du livre éponyme « 21 rue La Boétie » (paru aux Editions Grasset & Fasquelle, 2012).

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Un ouvrage qui raconte  l’histoire d’une famille spoliée par les nazis. Une toile de Matisse, Profil bleu devant la cheminée, datant de 1937 résume à elle seule l’itinéraire des biens spoliés. Volé dans le coffre de la banque de Libourne (qui réclama après guerre à Rosenberg les frais de remplacement des serrures), embarqué par Goering puis échangé avec un marchand allemand contre d’autres œuvres moins « dégénerées», le tableau de Matisse refait surface à la fin des années 40 sans que Rosenberg en ait connaissance. Il a été localisé dans une galerie parisienne qui l’a vendu à un collectionneur norvégien. La toile restera dans le musée norvégien crée par ce collectionneur jusqu’en 2012. A l’occasion d’une exposition Matisse, elle est prêtée au Centre Pompidou et reconnue par les ayants-droits Rosenberg. Engagée en 2012, la procédure de restitution aboutit en 2014. Soit soixante quinze ans après la spoliation. A ce jour, il reste encore une soixantaine d’œuvres de la collection Rosenberg à retrouver.

Cette exposition, outre son intérêt artistique évident, met en lumière le travail qui reste à accomplir pour qu’enfin les tableaux soient rendus, sinon à leurs propriétaires souvent disparus dans les cendres d’Auschwitz, à tout le moins à leurs descendants gardiens de la Mémoire.

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« 21 rue La Boétie Picasso, Matisse, Braque, Léger… »
Jusqu’ au 23 juillet 2017. Musée Maillol, 59-51 rue de Grenelle. Paris 7e