Etoiles filantes et lune incertaine, Alain Amiel brise les codes chez Matarasso

Bien-sûr Van Gogh et ses ciels étoilés. Bien-sûr Lacan et ses écrits obscurs. Bien-sûr les livres (édités, lus, interprétés, écrits)… Un vécu dense, polymorphe, riche, foisonnant. Des talents multiples et une curiosité à fleur d’âme. Alain Amiel a beaucoup étudié, beaucoup contemplé, beaucoup aimé les artistes et surtout Vincent. Il s’est beaucoup interrogé aussi sur les ferments de la création, sur cette nécessité troublante qui pousse certains êtres à prendre la plume, la cithare ou les pinceaux. Dans une frénésie que plus rien ne peut interrompre tant est vif le désir de dire, de transmettre, de laisser une trace.

Nul le sait comment cet ancien éditeur, écrivain, critique d’art, cinéaste à ses heures, a glissé sur la feuille blanche un soir d’insomnie, armé de feutres sombres et d’une furieuse envie de traquer les étoiles dans des paysages nus, des ateliers d’artistes ou des scènes de genre en pleine nature. Toujours est-il que le résultat capte l’attention, surprend et chavire.

Nous sommes face à des dessins, exposés à la galerie Matarasso, qui en disent long sur la vie, l’art et la psychanalyse. Alain Amiel a choisi d’obscurcir, de foncer la réalité. C’est grâce à des petites parcelles de blanc laissées intactes sur la feuille qu’apparaissent les figures. Elles ne sont donc pas dessinées, simplement révélées. Une écriture singulière et énigmatique.

Ma préférence va vers l’immensité profonde, mer, océan ou no man’s land, dans laquelle apparaissent vaguement quelques silhouettes évanescentes. On ressent ici une sorte d’extase. Fascination mêlée d’effroi face à cette beauté froide, cette finitude, cette incapacité à être. Aux confins de l’absolu, de l’infini.

« Starry days » d’Alain Amiel. Librairie-Galerie Matarasso, 46 boulevard Risso. Nice

Le merveilleux désordre de Ra’anan Levy chez Maeght

Le vide et le plein. La dialectique de la sobriété et de l’abondance. L’oeuvre de Ra’anan Levy présentée cet hiver  chez Maeght, à Saint-Paul, en regard des collections de la Fondation, est marquée par l’ambiguïté. Une trentaine d’œuvres et un ensemble de gravures permettent d’entrer dans l’univers de l’artiste franco-israélien. Un univers marqué par la configuration de l’espace, la fuite du temps, l’absence des personnes, la présence des objets… 

Etrange paradoxe que ces allées venues entre la profusion d’éléments hétéroclites et des pièces désolées dont l’austérité renvoie au néant. D’un côté des tables de travail ou des ateliers regorgeant d’objets utiles ou négligeables; de l’autre des appartements vides ou des morceaux de miroir.. « La tour de Babel » ou « Nuée d’histoire » donnent le tournis. On se trouve projetés dans la foule des langues, des idées, des inventions. En revanche en suivant  le « Chemin de l’ombre » ou en entrant dans la « Perspective flottante » on perd pied, on ne sait plus trop où le chemin nous mène, on s’interroge. Ici réside sans doute « L’épreuve du miroir », titre de l’exposition

C’est sans doute cette dualité fascinante chez un artiste exigeant, pratiquant une peinture aux couleurs pures et aux pigments vifs, à l’écart des modes, fidèle à ses objectifs, qui a contribué au succès remporté il y a quelques années lors d’une rétrospective au Musée Maillol, à Paris. Cette fois les amoureux de la Fondation, ce lieu semblable à aucun autre, pourront découvrir cette peinture qui, loin des débats formalistes souvent stériles, nous promène dans un monde captivant quelque part entre Balthus, Freud et Hopper.

Pour ma part je suis totalement fascinée par cette exposition. Quelle chose me parle, me trouble, fait sens. Je crois avoir compris qu’il s’agit de ce désordre apparent qui éclate dans les peintures. Rien ne me rassure davantage que ces errements des objets renvoyant finalement à une errance plus fondamentale de l’être. Ra’anan Levy maîtrise parfaitement son art mais il se situe à la lisière du chemin. Dans cet entre-deux flottant où l’on ne sait plus trop si l’on choisit la parfaite clarté de murs vides ou le grondement d’une surcharge visuelle. Pas de certitudes mais un questionnement intense sur ce va-et-vient entre sobriété nue et fièvre consumériste, entre nécessité de ranger (cacher peut-être..) et désir de tout étaler. J’aime l’ambiguïté de l’artiste et l’ambiguïté de l’homme. Elle renvoie au doute, au désordre de la pensée que je trouve rassurant et infiniment créatif.

Jusqu’au 8 Mars. Fondation Maeght. 633 Chemin des Gardettes, Saint-Paul de Vence +33(0)4 9332 8163.