Ernest Pignon Ernest chez lui, à Nice

©EPE+Extase+St+Pons

Dans ces dessins renversants les corps semblent se diluer, précipités dans le vide ou contorsionnés, désarticulés dans l’inconfort des tensions. Une façon de dire l’humanité échouée dan un océan d’indifférence? Non, pas vraiment. Il s’agit des « extases » des grandes mystiques de la chrétienté vues par Ernest Pignon-Ernest, un artiste fasciné par tous les ressorts de la souffrance et du désir. Celui de ces figures étranges et exaltées, les fiancées du Christ, est pétri d’excès et de retenue, de flammes et de contention. « Elles ruissellent » nous dit l’artiste qui a aménagé à leurs pieds un plan d’eau où les corps se mirent en même temps que l’architecture baroque du lieu. L’abbaye de Saint-Pons sert en effet d’écrin à cette sublime mise en scène. L’ensemble est le fruit de centaines de dessins préparatoires réalisés sur plusieurs années avec pour modèle Bernice Coppieters, danseuse-étoile des Ballets de Monte-Carlo.

Les pages elles-mêmes, pliées ou écornées, souples et maquillées de volutes, semblent signifier qu’une histoire nouvelle est en train de s’écrire ici. Car Ernest, qui n’est pas croyant, étudie la symbolique, traque les anecdotes, relit à sa façon les épisodes d’une vie. Ce qu’il fait pour des prisonniers ou des déportés, pour des héros politiques ou des laissés pour compte, pour des hommes simples ou puissants, il le met en œuvre pour ces femmes considérées comme saintes ou comme folles. IMG_2275

Au Mamac de Nice une vaste rétrospective permet de suivre Ernest Pignon-Ernest dans ses pérégrinations thématiques et géographiques. « Au début il y a un lieu, un lieu de vie sur lequel je souhaite travailler. J’essaie d’en comprendre, d’en saisir à la fois tout ce qui s’y voit: l’espace, la lumière,les couleurs… et, dans le même mouvement ce qui ne se voit pas, ne se voit plus: l’histoire, les souvenirs enfouis, la charge symbolique… ». Pionnier de l’art urbain, Ernest, armé de pinceaux, de colle, de dessins au fusain ou à la pierre noire, se promène, choisit et intervient. A Paris, à Rome, à Naples, à Soweto pour imprimer sur les murs une Pietà sud-africaine ou sur le port de Brest pour retracer le parcours de Jean Genet. Dans tous les cas il ose tout, se confronte à la réalité du moment mais poursuit son chemin extraordinairement dynamique et serein. Car la virtuosité et le charisme de ses dessins abattent toutes les frontières. C’est la magie de l’art.

Jusqu’au 8 janvier 2017. MAMAC. Nice

Jusqu’au 10 octobre 2016. Eglise abbatiale de Saint-Pons. Nice

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EPE

Quentin Spohn, superbe surprise au Dojo

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Attention, coup de cœur! En pénétrant au Dojo, studio de création et de design graphique basé dans le quartier du port, à  Nice, et connu pour ses initiatives en matière d’art contemporain, je ne pensais pas ressentir un tel choc. La fresque murale réalisée par Quentin Spohn nous emmène loin, très loin, à l’image de ces rails lumineux enrichis de volutes et perdus dans une sorte de brume évanescente (voir ci-dessus).

Les murs sont couverts de tableaux étonnants dessinés à la pierre noire. C’est ainsi qu’œuvraient les peintres de la Renaissance pour réaliser leurs esquisses avant de les recouvrir de peinture. Quentin Spohn multiplie les allusions, agrège les références tout en suivant son chemin, un chemin singulier. Il se déclare à la fois admiratif des fresquistes mexicains et de peintres figuratifs comme Otto Dix ou Max Beckmann qui employaient parfois pour leurs œuvres la forme du triptyque.

Le résultat est bluffant. La virtuosité du trait, l’humour de certaines figures, la densité de la matière et l’économie de couleurs transmuent ces exercices de style sur les murs d’un vaste espace peuplé de chercheurs et d’ordinateurs en véritables œuvres d’art. Portraits, scènes de genre ou paysages surréalistes… On ne peut que se féliciter de cette « résidence » qui permit à un artiste plein de ressources et d’imagination de travailler in situ en ce lieu voué à la création.

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Jusqu’au 30 août. « Restitution d’une résidence au Dojo » par Quentin Spohn. 22 Bis Bd Stalingrad. Nice

L’UMAM s’expose et explose Menton

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70 ans, un sacré anniversaire décidément qui se fête tout au long de l’année! L’UMAM (Union méditerranéenne pour l’art moderne) continue ses exploits et investit cette fois une ville entière ou presque. Menton se distingue et affirme haut et fort sa volonté de renouer avec l’art vivant. Sous l’impulsion de Simone Dibo-Cohen les espaces verts devant le musée Cocteau, les jardins Boviès et le palais Carnolès accueillent des sculptures qui explosent le paysage urbain. Comme cette barque de migrants , œuvre du collectif KKF, qui semble vouloir gagne la mer toute proche et qui, clouée sur la pelouse attend un avenir meilleur. Comme ce gorille signé Bombardieri qui interroge le sort de la planète et des animaux qui la peuplent. Comme cette superbe vague de Jérôme Leyre menaçante, faisant écho aux risques de tsunami. Comme cette foule signée Myrian Klein, perdue, bigarrée et dense dans sa diversité qui se fait une place parmi nous.

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L’actualité et la réflexion qu’elle suscite sont omniprésentes dans cette exposition vaste et multiple. Helena Krajewicz et Rob Rowllands proposent une vidéo saisissante sur la guerre et ses ravages. Installation qui accède, malgré elle à une rare esthétique. On ne peut citer tous les artistes participant à cette grande manifestation. Il faut aller à Menton, se promener, découvrir et rêver. Car les artistes, c’est plus vrai que jamais, nous aident à vivre.

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Jusqu’au 28 septembre. Dans les jardins de Menton et au Palais Carnolès.

 

 

 

 

Christo chez Maeght: Liberté, j’écris ton nom…

Christo - FM - 05.jpgSur la mer ou dans le sable, au-dessus des rivières ou sur les ponts, dans l’espace et la lumière, partout et nulle part c’est à dire dans l’immensité de tous les possibles, il écrit son nom. Christo a fait de la liberté son emblème, sa marque de fabrique, son aura.

Après avoir empaqueté le Pont-neuf à Paris ou le Reichstag à Berlin, après avoir promené 1340 parasols bleus à Ibaraki au Japon et 1760 parasols jaunes en Californie, après avoir entouré de tissu rose fluo les onze îles de Biscayne Bay, à Miami, voici Christo à la fondation Maeght avec un colossal mastaba qui n’est pourtant qu’une miniature en regard de la plus grande sculpture du monde qu’il compte installer en plein désert à Abu Dhabi.Il nous le disait il y a trois ans: « Je veux fabriquer la Rolls Royce du baril » (voir ci-dessous article paru le 28 juillet 2013 dans « Nice-Matin). Ce projet titanesque naquit en 1973. Mais pour Christo et Jeanne-Claude, disparue il y a quelques années mais toujours associée aux grandes œuvres du couple, il a toujours fallu des décennies pour aboutir à des réalisations hors normes.

Christo - FM - 14.jpgMais ce mastaba, c’est vraiment le projet de toute une vie et, contrairement aux autres œuvres dont l’essence est le sentiment de l’éphémère, cette sculpture qui sera haute de 150 mètres vise l’éternité.

« Chaque projet a son histoire et mûrit durant de longues années alors qu’il est interdit. En cinquante ans, vingt-deux ont été réalisés mais certains ont été refusés. Moi, j’adore l’espace physiquement. J’éprouve un plaisir viscéral à vivre le vrai froid, le vrai chaud, la pluie. Je n’ai ni voiture, ni téléphone, ni ordinateur, ni… assistants. Je déteste les idées représentées car je veux des actes et je fais tout moi-même. Tous les dessins sont de ma main, même les encadrements ».

Le mastaba de la Fondation surprend, dérange, décoiffe. Lorsque j’ai pénétré en ce lieu magique j’ai éprouvé un sentiment étrange. Du bleu, du rouge, de l’orangé agressif dans cette cour où l’on a si souvent côtoyé les silhouettes tiges de Giacometti. Ces êtres beckettiens de bronze et d’angoisse pétrifiés, ces hommes en marche pourtant vers une espèce de no man’s land. Les barils sont reçus comme un coup de poing. Et pourtant…  Il faut simplement une acclimatation comme lorsqu’on gagne précisément le désert nu pour réaliser qu’il s’agit d’une chance. Voir la Fondation, ses salles, ses pins, son labyrinthe, son horizon d’une façon neuve. Dans la parfaite ligne d’Aimé et Marguerite Maeght, aujourd’hui relayés par Adrien Maeght et Olivier Kaeppelin. Car rien n’est figé ici. Tout est en devenir. L’élan vital de la création épouse le chant des cigales. Toujours le même et toujours différent.

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Christo et Jeanne Claude. Jusqu’au 27 novembre. Fondation Maeght. 623 chemin des Gardettes. Saint-Paul de Vence. www;fondation-maeght.com

CHRISTO 28 JUILLET 2013