J’étais l’autre soir au Théâtre de Nice pour découvrir Anna Karénine. Frissons à l’idée de ce roman somptueux, légère inquiétude quant à son adaptation à la scène, joie de partager la représentation avec un comédien azuréen cultivé et talentueux. Et pleine d’espoir aussi car boostée par les appréciations dithyrambiques d’un autre homme de théâtre niçois au jugement sûr et sans concession .
Pourquoi avoir tardé, contrairement à mes habitudes, à publier ici ces quelques mots? j’étais perplexe… Il me fallait dormir, comme on dit, rêvasser à ce destin fou incarné par la sublime actrice iranienne Golshifteh Farahani qui, malgré sa beauté et sa présence charnelle, restera dans le spectacle comme elliptique, en retrait, entre chien et loup. « Anna Karénine ressemble à la lueur d’un incendie au milieu d’une nuit sombre », tels sont les mots de Tolstoï repris par le metteur en scène Gaëtan Vassart qui signe également l’adaptation. Son parti pris gomme les grands éclats passionnels, verse par endroits dans le récit mais parvient, et là se situe la prouesse, à faire exister les épisodes tragiques par allusion. Il assume certains décalages par rapport au livre que l’on ne peut d’ailleurs envisager de « jouer » de bout en bout.
Premières images terribles, en vidéo, d’une jument sacrifiée. C’est celle de l’amant, abattue suite à une chute. La chute d’Anna, elle, est annoncée dès son apparition. Juste après sa rencontre fatale avec Vronski elle assiste à la mort horrible d’un ouvrier déchiqueté par un train. Elle n’aura de cesse de vouloir foncer vers la liberté, effectuer un grand voyage à travers les steppes des conventions et de la bienséance, faisant vriller la route jusqu’au déraillement.
Les femmes sont plus convaincantes que les hommes dans ce spectacle. Sont-ce les hasards de la distribution ou le désir de mettre en exergue l’éternel féminin aux prises avec la pesanteur d’un monde qui s’éteint sans le savoir? Anna Karénine féministe avant l’heure dans une société bousculée par les soubresauts de l’histoire… L’âme russe piégée par le diktat des apparences qu’il faut sauver à tout prix…
Héroïne malgré elle d’une tragédie grecque elle renonce aux violons. « Les bals où on s’amuse n’existent plus pour moi ». Et la fatalité l’anéantit.